Le festival Antigel de Genève accueillait le week-end dernier une soirée exceptionnelle dédiée aux artistes sud-africains ; gqom, amapiano et expériences sonores du troisième type étaient de la partie. Compte-rendu.
Photo : DJ Candii par Émile Moutaud
Depuis maintenant dix ans, le festival Antigel vient dégivrer la paisible cité genevoise et ses alentours en plein cœur de l’hiver, dénichant et investissant les lieux les plus insolites où accueillir artistes et performeurs venus des quatre coins du monde. Au beau milieu de sa programmation XXL — étendue sur trois semaines — qui fait aussi bien la part belle à la danse, aux expositions, aux performances qu’à la musique : le programme « Africa, What’s Up ? » chapeauté par l’organisation locale Shap Shap a mené à bien sa mission pour une cinquième année consécutive.
Quoi de neuf en Afrique ?
Depuis 2015, ce projet culturel emmené par Mélanie Rouquier a maintenu son cap pour défendre l’essor des artistes émergents venus de l’hémisphère Sud. À la fois exigeant et surprenant à plus d’un titre, le line-up de ce focus conviait quelques-uns des artistes « les plus excitants de la sphère underground et expérimentale de Jo’burg », pour reprendre l’intitulé de la soirée. Sous le signe de l’exploration, l’édition What’s Up Africa dédiée à Johannesburg s’est déroulée samedi dernier au sein de la Caserne des Vernets, en bordure d’une rivière, L’Arve. C’est dans les dédales de couloirs de cet ancien bâtiment militaire désaffecté, entièrement bariolé aux couleurs de l’arc-en-ciel des murs aux plafonds, que les festivités du programme Jo’burg se sont exécutées tambour battant. Ou plus exactement six pieds sous terre, dans l’antre du Super Bunker que dissimule le site, et sous une épaisse fumée. Soit le cadre idéal pour vibrer au rythme des beats sombres et minimalistes estampillés gqom et amapiano qu’a réservés DJ Griffit Vigo aux plus curieux des festivaliers.
« L’Afrique du Sud est une scène importante. Le gqom est quelque chose de totalement nouveau pour beaucoup de personnes, il y a encore énormément de personnes qui ne connaissent pas le gqom. Mais c’est vraiment quelque chose de génial de voir la culture de son pays traverser le monde, dépasser les frontières » témoigne avec lucidité le DJ et producteur originaire de Durban qui œuvre à la démocratisation de la gqom depuis ses débuts en 2005, comme en atteste son surnom de « Gqom Originator ».
Et lorsque l’on interroge Griffit Vigo sur ce que cela représente pour lui de prendre part à cet échange, il ne cache pas son enthousiasme de pouvoir porter haut les couleurs de la Nation arc-en-ciel, ici en Europe : « Je trouve ça incroyable de venir dans un endroit où je ne suis jamais venu pour représenter notre culture. Mais pour moi cela ne se limite pas seulement au Gqom, c’est pour la culture, c’est pour montrer ce que nous faisons, ce que nous aimons. Jusqu’à présent, c’est vraiment génial. »
Un peu plus tôt dans la soirée, le programme avait débuté sur une tout autre note que les décharges d’énergie brute du gqom, avec les performances plus radicales d’artistes repoussant continuellement les barrières des genres. Du coup d’envoi spectral lancé par Dokta Spizee accompagné de DJ Mighty Bone, à l’apparition de la britannico-nigériane Klein adepte de collages sonores en tout genre, en passant par le moment fort de la soirée, à savoir la présence de Desire Marea… les spectateurs ont eu droit à un feu d’artifice créatif ! Desire Marea justement, artiste queer membre du duo Faka qui vient tout juste de lancer son premier album solo, a offert une intrigante prestation aux allures de show transformiste devant une foule captivée par l’intense jeu d’ombres et de lumières qui habillait la scène.
Une réussite, pour Jamal Nxedlana, membre du collectif d’artistes Cuss Group qui a participé à la sélection de ses pairs sud-africains : « il est certain que ce sont des artistes qu’on trouve intéressants et qui, d’une certaine façon, repoussent les frontières, qui ont quelque chose d’unique, qui innovent par leur façon de faire de la musique ».
Le match aller à Jo’Burg
Dix jours plus tôt, à Johannesburg, les DJs suisses Bone Black et Mighty accompagnés d’un des représentants de la délégation sud-africaine, Dokta SpiZee, s’étaient retrouvés en studio pour une jam session. “Nous savions que c’était pour une semaine, donc il n’y avait pas de pression à être super-productifs et avoir un grand résultat. Il s’agissait de se connecter et de lancer le processus de création », racontait Mighty à notre correspondant Tseliso Monaheng. Créer des espaces de rencontre entre artistes qui n’auraient, sans ces initiatives, jamais l’occasion d’échanger et, qui sait, donner naissance aux hybridations sonores de demain, c’est la tout l’intérêt du programme What’s Up Africa ?.
Et si certains observateurs peuvent douter de la pérennité de ce genre d’expériences, les principaux intéressés présents à Genève étaient persuadés que cette soirée leur servirait durablement de tremplin, ou du moins de terreau fertile pour les expérimentations artistiques. C’était notamment l’avis de Jamal qui, quelques minutes avant de réaliser une captation de la performance de Desire Marea, nous confiait : “vous savez, c’est moins une affaire d’objectifs à remplir, de but final, pour moi c’est surtout un moyen d’explorer (…) c’est juste intéressant de le faire, et on verra après ce qui arrivera. »
Découvrez les photos du festival par Émile Moutaud ci-dessous.